Grenoble, le 11 juillet 2025
Rejet de la motion du Conseil académique par le Conseil d’administration : un nouveau déni de démocratie à l’Université Grenoble Alpes
Le 19 juin 2025, le Conseil académique (CAc) de l’Université Grenoble Alpes (UGA) a adopté, par 51 voix pour, 1 contre et 5 abstentions, une motion claire et ferme (voir ci-dessous) : demander au Conseil d’administration de suspendre immédiatement tout contrat de collaboration avec des institutions relevant d’États accusés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou ne respectant pas les décisions des instances internationales, comme l’ONU.
Le 20 juin, conformément à la procédure, la FSU a officiellement demandé l’inscription à l’ordre du jour du Conseil d’administration (CA) d’une délibération sur la base de cette motion. Cette demande paraissait naturelle, d’autant que le président de l’UGA s’était auparavant engagé à respecter les décisions du Conseil académique lors de la désignation de sa présidence.
Une manœuvre de requalification inacceptable
Le 25 juin, lors de la publication de l’ordre du jour du CA, nous avons découvert avec stupéfaction que la délibération demandée avait été transformée en une simple « motion FSU », détachée de la délibération académique pourtant adoptée à une écrasante majorité. Ce tour de passe-passe a été effectué sans consultation ni justification, et contre la volonté de nombreuses organisations représentées dans les deux conseils.
Le 2 juillet, le président de l’UGA a adressé aux membres du CA une note dans laquelle il recommandait explicitement le rejet de ce qu’il continuait d’appeler une « motion FSU », en dénaturant le texte initialement voté.
Lors de la séance du Conseil d’administration du 3 juillet :
- Le président a refusé toute discussion ou possibilité d’amendement du texte en séance, en s’obstinant à le présenter comme une motion non amendable, et non comme une délibération issue du Conseil académique.
- Bien qu’un vote par boîtier ait été utilisé plus tôt dans la séance, celui-ci a été refusé pour ce point. À la place, le président a imposé une consultation électronique différée, s’étalant du 4 au 8 juillet, en dehors de toute disposition prévue par les statuts ou le règlement intérieur de l’UGA.
Une procédure irrégulière et contestable
Ce mode de consultation électronique n’a aucune base légale ou réglementaire dans le fonctionnement du Conseil d’administration. Le règlement intérieur de l’UGA prévoit explicitement que les votes se tiennent à main levée ou au moyen de boîtiers électroniques, sauf disposition spécifique contraire — disposition que le président n’a jamais évoquée.
Cette procédure hors cadre, réalisée après la clôture de la séance et sur plusieurs jours (incluant un week-end), ouvre la voie à toutes sortes de pressions individuelles et vide les débats collectifs de leur substance. Elle va à l’encontre de l’esprit même d’un conseil démocratique, où les échanges permettent aux membres de confronter leurs arguments et de faire évoluer leur position.
Le résultat de ce vote hors séance a été le suivant : 15 voix pour, 18 contre, 4 abstentions. Le président en a conclu que la motion était rejetée.
Un déni de démocratie manifeste
Sur le fond, ce rejet traduit un écart inacceptable entre la volonté des personnels et étudiant·es de l’université, clairement exprimée au sein du Conseil académique, et la décision finale du Conseil d’administration, où siègent de nombreux membres extérieurs à la communauté universitaire.
Ce déséquilibre structurel permet de contourner la voix majoritaire des personnels et des usager·es. Rappelons que la motion initiale n’avait rencontré qu’une seule voix d’opposition au Conseil académique, contre 18 voix opposées au CA. Ce fossé illustre l’injustice démocratique créée par la composition actuelle du Conseil d’administration.
Nous dénonçons fermement :
- La déformation du mandat donné par le Conseil académique ;
- L’instrumentalisation des procédures par la présidence de l’UGA ;
- Le refus de toute discussion collective en séance ;
- Une procédure de vote illégitime et non conforme aux règles de l’université.
Nous réaffirmons notre engagement en faveur d’une université démocratique, éthique et responsable sur le plan international. Nous exigeons que les décisions issues des conseils représentatifs de la communauté universitaire soient respectées et que cessent les pratiques autoritaires qui minent le fonctionnement démocratique de notre institution.
Sur le fond du sujet
Le plus important est le fond. Nous avons lu avec attention les réserves exprimées par le président de l’UGA. Elles soulèvent des points sérieux que nous prenons au sérieux. Mais nous pensons que cette motion, loin de menacer la mission de l’université, l’honore, en l’alignant avec ses valeurs fondamentales. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (F.Rabelais), il nous faut dès lors refuser de participer à la banalité du mal telle que la définit Hannah Arendt, l’incapacité à penser le monde et à se penser dans ce monde.
1. Sur l’autonomie académique :
L’université est un espace de savoir, mais aussi de responsabilité. Refuser de collaborer avec des institutions liées à des États dont les dirigeants sont visés par des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, ce n’est pas céder à la géopolitique. C’est poser une limite éthique à la coopération scientifique. D’ailleurs, pourquoi avons-nous suspendu nos liens avec la Russie en 2022 ? Pourquoi ce choix serait-il justifié pour la Russie, mais pas pour Israël ?
2. Sur la distinction entre universités et États :
La motion ne vise pas les chercheurs ou les étudiantes en tant qu’individus. Elle vise les structures institutionnelles qui sont directement ou indirectement liées aux États mis en cause. Rien n’empêche de maintenir des relations personnelles, d’inviter des chercheurs critiques, ou même d’expliquer notre position aux partenaires concernés. C’est aussi ça, le dialogue. Bien au contraire, ce dialogue doit être renforcé.
3. Sur l’accusation de « double standard » :
Le critère est clair : il s’agit des États dont les dirigeants font l’objet de mandats d’arrêt de la CPI. Aujourd’hui, ce sont la Russie et Israël. Si demain d’autres régimes atteignent ce niveau de gravité, la même logique devra s’appliquer. Il ne s’agit donc pas d’arbitraire, mais d’un principe clair, fondé sur le droit international.
4. Sur la liberté académique individuelle :
Aucune liberté n’est absolue, surtout pas lorsqu’elle entre en conflit avec des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. On ne parle pas d’interdire des recherches, mais de conditionner les partenariats institutionnels à un minimum d’éthique. L’attractivité de notre université ne sera pas affaiblie par ce choix : au contraire, elle sera renforcée par sa cohérence morale.
5. Sur le risque de repli :
Il ne s’agit pas de rompre avec le monde, mais de redéployer nos collaborations. Nous continuerons à coopérer avec des chercheurs de tous pays, mais pas à travers des institutions liées à des gouvernements qui bafouent ouvertement le droit humanitaire. La science est internationale, mais elle n’est pas au-dessus des droits humains.
6. Enfin, sur le rôle de la science comme vecteur de paix :
Oui, la science peut être un pont. Mais dans certains cas, maintenir une coopération institutionnelle revient à normaliser l’inacceptable. Quand un État perpétue des crimes de guerre, il se met lui-même hors du cadre du droit international. Ce n’est pas nous qui le rejetons, c’est lui qui s’exclut.
En conclusion, nous ne demandons pas que l’UGA fasse de la diplomatie. Nous lui demandons de rester fidèle aux principes de dignité humaine, de justice internationale, de respect des droits humains. Cette motion est claire, limitée et profondément cohérente avec ce que l’université prétend défendre. Laissons le dernier mot à la motion votée par le conseil académique : « Continuer à collaborer avec ces pays [qui ne respectent pas la légalité internationale et dont les dirigeants sont suspectés de commettre des crimes de guerre] comme si de rien n’était, constituerait à la fois une offense aux victimes et un encouragement à la perpétuation de ces crimes, ainsi qu’à la commission de nouveaux crimes ».
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Motion adoptée le 19 juin 2025 par les élus du conseil académique
Motion demandant la suspension des contrats de collaboration avec des institutions de pays ne respectant pas la légalité internationale et suspectés de commettre des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le Conseil Académique (CAc) plénier de l’Université Grenoble Alpes (UGA) réuni le 19 juin 2025 rappelle l’attachement de l’UGA au respect de la légalité internationale, et son rejet absolu des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il exprime toute sa solidarité à toutes les victimes de tels crimes.
Il considère que cette solidarité nécessite impérieusement de suspendre tout contrat de collaboration de l’UGA avec des institutions de pays dont les dirigeants sont suspectés par les instances internationales compétentes de violer la légalité internationale et de commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Une telle suspension permet en effet de faire comprendre à la société civile des pays concernés que les crimes de guerre mettent leur pays à l’écart de la communauté internationale, et qu’il ne sera possible de retourner dans le concert des nations que lorsque ces crimes auront cessé et que leurs auteurs auront été jugés. Continuer à collaborer avec ces pays comme si de rien n’était constituerait à la fois une offense aux victimes et un encouragement à la perpétuation de ces crimes, ainsi qu’à la commission de nouveaux crimes.
Dans ce contexte, le CAc de l’UGA se réjouit de la décision prise dès le 28 février 2022 par le gouvernement français d’interrompre toute nouvelle coopération académique avec la Russie, décision mise en œuvre par l’UGA dès le 3 mars 2022. Le CAc de l’UGA prend acte de l’émission par la Cour Pénale Internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt à l’encontre du président de la Russie, pour suspicion de crimes de guerre. Le CAc de l’UGA prend également acte de l’émission par la CPI d’un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien et son ministre de la défense pour de vraisemblables crimes de guerre et crimes contre l’humanité, dont certains sont susceptibles de répondre à la définition du crime de génocide, ainsi que de la violation par Israël depuis des décennies de multiples décisions de l’ONU.
Le CAc de l’UGA exprime son horreur pour le massacre de dizaines de milliers de victimes palestiniennes dans la guerre à Gaza, pour l’utilisation par l’armée israélienne de l’arme de la famine et plus récemment de l’arme de la soif (du fait de l’interruption de l’alimentation en électricité d’une centrale de dessalement de l’eau de mer alimentant environ 600 000 personnes), et pour la destruction systématique au bulldozer de quartiers entiers de villes palestiniennes comme Rafah. Le CAc exprime également son horreur pour les vraisemblables crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis le 7 octobre par le Hamas, ainsi que pour les souffrances auxquelles ont été exposés les otages enlevés ce jour-là. Il considère cependant que cette horreur ne saurait justifier la réaction totalement disproportionnée et indiscriminée de l’armée israélienne.
En conséquence, le CAc de l’UGA demande au conseil d’administration de l’UGA de décider la suspension immédiate de tout contrat de collaboration avec des institutions dépendant d’Etats dont les dirigeants sont accusés de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, ou qui ne se conforment pas aux décisions des instances internationales, comme l’ONU. L’UGA honorera ses engagements financiers vis-à-vis des personnels recrutés dans le cadre de ces contrats, à condition toutefois qu’ils acceptent d’interrompre toute collaboration avec les Etats concernés. Tout processus de signature d’un nouveau contrat avec ces institutions devra également être suspendu. L’UGA reste prête à accueillir les citoyen·nes de ces pays (étudiant·es ou travailleurs·ses), mais exclusivement dans le cadre de contrats n’impliquant aucune institution de ces pays. La coopération avec la Russie étant déjà suspendue, et compte tenu du caractère dramatique de la situation à Gaza, le CAc de l’UGA demande au conseil d’administration de l’UGA d’appliquer immédiatement ce principe aux coopérations de l’UGA avec Israël.