Avant lecture de notre réponse, nous proposons au lecteur de prendre quelques minutes pour écouter la chanson « Armstrong » de C. Nougaro…
La réponse du président envoyée à tous les personnels mercredi 21 mai à 14h44, est factuellement fausse à plus d’un titre. Elle brouille les pistes, en tentant d’entrainer le débat sur la définition d’une œuvre d’art et d’un artiste, en interprétant abusivement le contenu des messages constitutifs de l’œuvre, en niant le racisme systémique de la société et utilise la loi de Brandolini pour, en quelques mots, conduire ses opposants à des réponses complexes.
Allons y : La complexité ne nous effraie pas !
Sur la définition d’une œuvre d’art et d’un artiste
Le président se risque à dire dans son message que les phrases retirées ne sont pas l’œuvre d’artistes. Mais le code de la propriété intellectuelle est assez clair sur le sujet. C’est l’artiste lui-même qui décide si sa production (qui doit être matérielle) est une œuvre ou non. Un stagiaire, étudiant ou personnel est donc de fait un artiste s’il le décide. Petite Poissone qui a conçu la globalité du dispositif est une artiste car elle se présente elle-même ainsi. Enfin, la newsletter 26 de l’UGA qualifie elle-même ces ateliers de street-art. Ce n’est donc pas la prérogative d’un président d’université de qualifier une personne d’artiste ou non.
En adoptant cette posture, le président de l’UGA se glisse exactement dans les habits caractéristiques du censeur puisqu’il se donne le droit, contre la règle juridique, de juger du caractère artistique ou non d’une production. Cette posture est significative de sa manière toute particulière de (dé)considérer la démocratie et les libertés académiques et de création. Il n’en est pas à son coup d’essai en la matière…
Sur son interprétation discutable des messages
Le président qualifie les éléments retirés comme stigmatisant pour une partie de la population. En l’espèce, ces messages faisaient partie d’une œuvre globale issue d’un atelier incitant à la réflexion autour du racisme dans le cadre du mois de l’égalité. Cette œuvre était constituée d’environ 40 messages interrogeant le racisme dans son ensemble. Ils étaient accompagnés de deux panneaux explicatifs de l’ensemble de la démarche.
En retirer quelque uns, c’est dénaturer l’œuvre dans sa globalité. Les messages retirés pointaient les asymétries des expressions du racisme qui sont pourtant bien réelles ainsi que les asymétries des conditions de vie dans la société française. Les nombreux spécialistes de ces questions à l’Université Grenoble Alpes auraient pu, si le président les avait consultés, expliquer l’asymétrie du racisme systémique dans la société française. Invisibiliser ces messages, c’est se voiler la face sur ces asymétries destructrices de la société française et laisser libre court au racisme systémique réel et souvent non-dit à l’œuvre dans notre société.
Le président en agissant ainsi entre de plain-pied dans la stratégie de l’UNI et de toutes les extrêmes droites qui veulent masquer ce racisme systémique. Il dévitalise ainsi la lutte incessante pour un réel humanisme universel. On peut légitimement interroger la conformité de son action aux valeurs de l’université.
Sur sa capacité à demander le retrait des œuvres
Nous convenons que l’article L.712-2 du code de l’éducation confère à un président d’université la possibilité de retirer ou de refuser l’exposition d’une œuvre d’art dans son établissement. Mais ce pouvoir est strictement encadré.
C’est un acte administratif qui doit respecter :
- la légalité
- le principe de proportionnalité
- les libertés fondamentales (notamment la liberté d’expression et de création artistique).
Un retrait ou une interdiction doit être justifié par un motif légitime, comme:
- le trouble à l’ordre public qui suppose un risque réel, sérieux, objectivement identifiable. Pas une simple crainte subjective ou désaccord idéologique.
- la protection des droits d’autrui (discours haineux, raciste, diffamatoire, etc.)
- un risque grave pour le bon fonctionnement de l’établissement
Il est clair que cette œuvre dans son ensemble, ni même les messages incriminés ne pouvaient être qualifiés de racistes. Aucun des motifs cités au-dessus ne peut être caractérisés. D’ailleurs, les œuvres ont été exposées pendant 2 mois dans la galerie des amphis, sans poser aucun problème avant qu’un syndicat d’extrême droite, aux positions tout à fait problématiques sur le sujet, n’enjoigne au président de retirer ces messages. Le président seul a décidé de les suivre sans motif légitime…
Les personnels et les étudiants qui pendant ces deux mois ont vu cette exposition sans que cela ne pose problème ont, en revanche, été porteur des valeurs de l’université et l’ont honoré.
Message du président du 21/05/2025 à tous les personnels de l’UGA
Chères et chers collègues,
Dans le cadre du Mois de l’Egalité organisé par l’UGA, des inscriptions ont été réalisées sur les vitres de la galerie des amphis de l’Université Grenoble Alpes. Certains de ces messages proféraient des attaques contre une partie de la population en raison de sa couleur de peau. Ils ont été élaborés par des étudiants et des personnels lors d’ateliers et ne constituent pas l’œuvre d’un ou d’une artiste. Ces messages n’ont pas un caractère institutionnel et ne reflètent pas la position de l’établissement, ils ont été retirés.Ce type de propos est strictement incompatible avec les valeurs humanistes et les principes républicains que l’université promeut. Ces valeurs et principes sont ceux qui fondent notre société. Ils garantissent l’exercice de nos libertés et l’égalité entre toutes et tous. Ils sont, ainsi que les libertés fondamentales, inscrits dans la loi mais également garantis par la Constitution ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’Université Grenoble Alpes est attachée au respect de toutes et tous et à la diversité. Elle poursuit sans relâche son engagement en matière d’égalité, de lutte contre les discriminations, contre l’antisémitisme et le racisme sous toutes leurs formes. Dans le contexte géopolitique mondial, la solidarité, l’humanisme, les principes et valeurs qui fondent notre société, notre université et notre République sont plus importants que jamais. Ils constituent les piliers de notre vivre-ensemble, de notre modèle démocratique et social. Y porter atteinte est illégal et remet également en cause les fondements de notre institution.
L’Université Grenoble Alpes s’engage à demeurer un lieu où les différences sont une richesse, où les oppositions s’expriment à travers les idées, et où le débat repose sur la rigueur académique et le respect.
Bien cordialement,
Yassine Lakhnech
Président de l’Université Grenoble Alpes